Professeur d’économie appliquée à l’université Johns Hopkins à Baltimore et directeur du Troubled Currencies Project au Cato Institute de la ville de Washington, Steve Hanke estime l’inflation au Liban à 337 % en rythme annuel. Fervent défenseur des caisses d’émission, il préconise un changement du régime monétaire libanais. Entretien.
Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer que le Liban vit actuellement un épisode d’hyperinflation ?
L’instabilité monétaire au Liban s’est traduite par une augmentation brutale des prix. Je définis l’hyperinflation comme étant un épisode où la hausse des prix est supérieure à 50 % par mois pour trente jours successifs. Or selon mes calculs, le taux d’inflation mensuel au Liban s’est établi à 52,6 % le 22 juillet, dépassant le seuil de 50 % sur trente jours consécutifs, ce qui fait du Liban le premier pays de la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à connaître une hyperinflation. Au niveau mondial, il s’agit du 62e épisode.
En glissement annuel, le taux d’inflation était de 337 % fin août et de 359 % le 21 septembre.
Comment faites-vous pour calculer l’inflation, sachant que l’indice des prix à la consommation (IPC) de l’administration centrale de la statistique libanaise, lui, était en hausse de 120 % en août ?
J’utilise des données haute fréquence (des données mises à jour dans de très petits intervalles de temps, NDLR) en me basant sur le prix le plus important dans une économie : le taux de change entre la monnaie locale et la monnaie de réserve mondiale, le dollar américain.
Tant que le marché noir, à savoir le marché libre, continue d’exister, nous pouvons utiliser ce taux de change pour estimer le niveau d’inflation, sur le même principe que la parité du pouvoir d’achat (PPA). Durant la crise d’hyperinflation allemande entre 1920 et 1923, les constatations empiriques ont permis à l’économiste Jacob Frenkel de déceler une corrélation presque parfaite entre le taux de change et l’indice des prix à la consommation. Et plus le taux d’inflation était élevé, plus la corrélation approchait de 1.
Le fait est que dans les pays vivant une hyperinflation et dépendant de l’importation, les prix de la majorité des biens et des services sont affichés soit en une monnaie stable (le dollar), soit dans la monnaie locale en suivant le taux de change du marché noir.
Le fait que la Banque du Liban subventionne une grande partie des importations à un taux largement inférieur à celui du taux du marché noir ne fausse-t-il pas vos calculs ?
La banque centrale ne peut pas continuer indéfiniment à subventionner les importations, les réserves étant en train de fondre. Lorsque ces subventions seront levées, la situation de la livre libanaise sera plus dramatique et la véritable hausse des prix apparaîtra au grand jour.
De surcroît, mon calcul prend en considération tous les biens, les services et les actifs dans une économie. C’est un panier global, contrairement à l’IPC qui se limite à la consommation.
Vous avez aidé plusieurs États émergents à mettre en place un régime de caisse d’émission (currency board en anglais). Pensez-vous que cela pourrait être une solution pour le Liban ?
La stabilité du taux de change et des prix est la condition sine qua non de la relance économique. Le Liban devrait s’inspirer de la Bulgarie, qui a connu une hyperinflation en 1997. À l’époque j’ai conseillé le président Petar Staynov de mettre en place une caisse d’émission (currency board, en anglais), avec le soutien du Fonds monétaire international (FMI). Une caisse d’émission est une institution, à savoir un groupement de lois,qui gouverne la politique monétaire d’un pays. Il s’agit de créer une monnaie domestique librement convertible à un taux fixe par rapport à une devise internationale, et dont l’émission est strictement limitée par le montant des réserves de change dans le système bancaire. La monnaie locale est émise au fur et à mesure de l’entrée dans les coffres de la banque centrale de la monnaie de référence.
Plus de 70 pays ont mis en place un tel régime. Au Liban, une caisse d’émission permettrait de retrouver la stabilité et de restaurer la confiance des acteurs économiques.
Cela ne priverait-il pas l’État de tous ces leviers ?
En présence d’une caisse d’émission, il n’y a plus de politique monétaire. La quantité de monnaie en circulation est déterminée par le marché et la banque centrale émet simplement la monnaie clone. La stabilité et l’absence de risques relatifs au taux de change permettent de maintenir les taux d’intérêt à un niveau bas.
Cela impose une discipline monétaire et budgétaire stricte. Le respect des règles doit être absolu, ce qui est idéal pour le Liban, étant donné l’environnement politique compliqué. La banque centrale ne pourrait plus prêter à l’État, les politiciens seraient camisolés et ne pourraient plus mettre la main sur les leviers monétaires du pays. Une caisse d’émission pourrait ainsi limiter la corruption.
À terme, la stabilité encouragerait un retour des flux de capitaux vers le Liban, ce qui faciliterait la reprise du système bancaire libanais, et permettrait de mettre fin au contrôle des capitaux le plus tôt, et avec le moins de pertes possibles.
Mon étude sur l’histoire des caisses d’émission montre que les pays qui ont adopté ce régime affichent des taux de croissance plus élevés, avec des taux d’inflation, un déficit public et un ratio de la dette sur le PIB inférieur comparé aux pays comparables opérant une politique monétaire traditionnelle. La caisse d’émission n’est pas la solution à tous les problèmes, mais elle apporterait la stabilité nécessaire pour lancer des réformes et encourager l’investissement.
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